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Enquête sur un nom

             

           


Ailhon :
un nom à (faux) problèmes
       

   

Texte de Georges Massot, auteur d’ouvrages sur les patronymes du Vivarais

Il faut bien le reconnaître : plus que bien d’autres, le nom du champêtre village d’Ailhon soulève diverses questions.
Il en pose d’abord à tous ceux qui ont eu l’infortune de naître à plus de 30 kilomètres de son clocher-peigne : quelle est, parmi plusieurs possibilités, la bonne prononciation de ce nom de lieu ? Il en pose aussi à tous ceux qui, un peu curieux de l’origine des mots, se demandent, devant ce toponyme hermétique : que diable a-t-il pu signifier ?

En bon français, affirmait devant moi un visiteur champenois, ce nom doit ce prononcer “ailon”. J’ai d’ailleurs réfléchi à ce mot. Il doit signifier “petite aile”, sans doute parce que le village a été construit entre les “ailes” de plusieurs bois de pins, comme on peut encore le constater de nos jours.

Votre explication ne me convainc pas, dit un albenassien. D’abord parce que chacun prononce ce nom comme s’il s’agissait de “haillon” ensuite parce que les bois de pins sont apparus ici vers le milieu du XIXe siècle. Et le village est bien plus ancien.

Sûrement, ajoutera un vieil habitant d’Ailhon. D’ailleurs, la véritable prononciation du nom, celle des anciens, c’est “ayou”. Quant à savoir ce que cela signifie... ! Peut-être y a-t-il là le mot “ail”, comme il y a celui de “lentille” dans Lentillères...


         


   

 

         

En Ardèche

Voilà bien des questions. Pour leur trouver une réponse, il faut se garder d’une tentation : celle d’obtenir une solution immédiate, même si elle n’est étayée sur aucune preuve. Dans un pareil cas la démarche du spécialiste est simple, du moins dans son principe. Il doit chercher les formes les plus anciennes du nom de lieu en question pour approcher le plus possible de la forme originelle ; celle qui nous livrera la clef de son étymologie, ou, du moins quelques pistes pour la trouver.

Or, que nous montrent les anciens documents dont nous pouvons disposer ? La carte de Cassini, dressée à la fin du XVIIIe siècle ? Elle nous mentionne déjà la forme actuelle d’Ailhon. Mais, en début du même siècle en 1715, dans un texte concernant la visite des paroisses, on trouve Aillou. C’est la forme patoise ou plutôt occitane. Remontons encore le temps, les Estimes (documents fiscaux) de 1464, nous offrent Alhon. En réalité, si on tient compte du fait que la graphie occitane “lh” note “l” dit mouillé (comme dans le français “milieu” ou l’occitan “Mezilhac”), on se rendra compte que le nom de notre village, en langue d’oc, s’est depuis une bonne dizaine de siècles, prononcé “alyou/ayou”. Seule la manière de noter les sons a pu varier mais non la prononciation.

Encore un effort, et nous voici en 1275. Dans un texte relatif à un impôt (encore...) apparaissent les formes les plus anciennes : Alio, Alione. Notre toponyme se présente maintenant sous une forme latinisée comme c’était souvent le cas dans les actes de cette époque.

Or, cet Alione est précieux pour le spécialiste. Car il connaît bien le nom d’homme en latin “Allius”. Et “Alione” représente bien ce nom de personne (Allius avec la désinence (ou suffixe”one”).

Quoi qu’il en soit, la signification de ce nom latin lui paraît évidente. “Alione”, c’est “le domaine d’Alius.

         

En Savoie

Voici donc le message que nous livre ce nom de lieu après avoir été décrypté : il y eut, vraisemblablement dans les cinq ou six premiers siècles de notre ère, une “villa” ou propriété agricole, dont le maître était un certain Allius. Rien de surprenant dans cette révélation. Au chef-lieu même, on a trouvé, selon Albin Mazon, plusieurs monnaies romaines de l’époque impériale et, tout près, à la Grange-de-Védignac, de nombreux fragments de tuiles romaines à rebord.      

Il n’y a pas d’autre Ailhon (ou (Aillon) en Ardèche. Mais si, quelque beau jour, vous traversez la Savoie et le canton de Châtelard, vous trouverez, à une quinzaine de kilomètres au Nord Est de Chambéry, deux villages : Aillon-le-Vieux et Aillon-le-Jeune qui avant 1803 n’en formaient qu’un seul : Aillon. Vous ne serez pas surpris que dans ce texte de 1158, ce village savoyard était dénommé “aillone”. Vous en déduirez que ce nom révèle celui d’un propriétaire gallo-romain : Allus. Et vous aurez raison.

Vous vous direz peut-être que la seule petite différence entre notre Ailhon ardéchois et son homonyme savoyard est une question d’orthographe. Car le groupe “ill” en français se prononce à peu près comme le groupe “ih” en langue d’oc. Et vous aurez encore raison.

En somme, penserez-vous, si on essaie de reconstituer l’image sonore du nom de notre village ardéchois depuis une quinzaine de siècles, on obtiendra quelque chose comme “alyone” pendant la période gallo-romaine, ensuite “ayou (n)” pendant la période romane, puis occitane qui s’étend jusqu’à nos jours. Enfin, cette image sonore devenue “ayon” en se francisant.

Et une fois de plus vous aurez raison. Tellement raison que je me demande s’il était utile que je griffonne ces quelques explications.